@Nicolai Netherval

La forge n'avait pas cessé de fonctionner ces derniers jours. Le bruit du métal que l'on cogne, du feu dévorant ou des cris des artisans qui ne s'entendent plus parler dans tout ce brouhaha ; la rue entière avait dû subir deux nouvelles semaines de travail intensif de la part des forgerons Brotz.
Wil et son père avaient été présent du matin au soir, parfois la nuit, travaillant à deux et d'arrache-pied pour forger à la hauteur de leur réputation.

Les imprévus, ils avaient l'habitude. La commande avait été passée par un messager qui avait apporté une liste du nécessaire pour l'armée, à livrer impérativement avant la prochaine expédition. Le père Brotz avait prit le papier froissé, l'avait tendu à Wil qui s'était mis à la tâche instantanément après l'avoir parcouru du regard. C'était ainsi fait. Rapidité, efficacité ; priorité. L'armée passait avant tous les autres clients. A la forge, tous ne comprenaient que trop bien l'importance d'offrir de bons équipements à leurs soldats, en particulier les bataillons d'exploration.

Alors quand le tout fut forgé, nettoyé, vérifié et approuvé, ce fut bien une grande charette avec toit qui fut louée pour déplacer tout le matériel d'un bout à l'autre. Assis en tête de charette, rennes à la main, Wil s'était lancé vers la caserne, profitant de ce moment de répis pour souffler un peu et apprécier l'extérieur ─ même si dans l'immédiat, le soleil n'était pas au beau fixe, caché derrière d'épais nuages sombres et l'humidité écrasante présageait de la pluie. Pas super pour son matériel.
Le simple bout de tissu qui servait de tablier cachait à peine son torse large bruni par la chaleur de la forge et les traces noires témoignaient encore de son activité nocturne. Il n'avait pas dormi, ou très peu. Les cheveux en bataille, visage sale et sourcils froncés, le forgeron ne dégageait rien de sympathique. Alors quand les premières gouttes de pluie tombèrent, Wil sentit comme la lassitude l'envahir et un profond soupir s'échappa d'entre ses lèvres tandis qu'il jetait son bras à l'arrière de la charette pour récupérer une cape. Il l'enfila rapidement, laissant les deux chevaux continuer leur route tranquillement, la capuche assombrissant davantage son visage déjà peu chaleureux.

Le truc qui l'agaçait le plus dans tout ça, c'était le temps de trajet. Wil n'était pas du genre tendre avec ses bêtes, même s'il s'agissait de chevaux de traits réputés pour leur endurance. De plus il faisait le voyage seul, n'aimant pas être accompagné. Il avait l'arrogance de dire qu'il pourrait se défendre seul en cas de problème.

Il arriva à destination tard le soir même, toujours sous la pluie. Il fut arrêté à l'entrée de la caserne et descendit de la charette pour se présenter et saluer les gardes. Le plus âgé s'approcha, l'air sévère.

─ Une livraison pour le commandant Netherval.
─ Aaah, c'est le jeune Brotz. Hé toi, va chercher le commandant, je reste ici.

Wil lança un regard vers le jeune soldat qui s'éclipsa après un bref salut. La livraison avait deux jours d'avance, mais à force l'armée était un peu habituée à être livrée en avance. Fort heureusement, les délais de la majorité des commandes étaient souvent raisonnables et anticipés. S'adossant contre sa charette, Wil laissa le soldat s'approcher de l'arrière et pousser les pans en tissus pour y découvrir de grosses caisses, toutes protégées dans plusieurs couches de tissus afin que la pluie et l'humidité n'y prénètre pas.
Pas un mot ne fut échangé. A force, toutes ces inspections étaient devenues une routine qui lassaient un peu le forgeron. Il s'y pliait par respect envers l'autorité, mais à choisir, il préférerait juste poser ses caisses et repartir chez lui.
Parce qu'il lui restait encore le chemin du retour et qu'un bon lit serait fortement apprécié pour le lendemain soir.