SORRY NOT SORRY

Crac.

Un bruit fort. Strident. Court. La lame se brise en deux, séparant le haut et le bas de la magnifique épée que tu avais acquise il y avait à peine une semaine. La lame se brise en deux et tes lèvres s’entrouvrent légèrement, puis se referment. En posant tes yeux sur les dégâts, une scène te revient à l’esprit. Qu’est-ce que Wilhelm t’avait dit déjà ? De faire attention. Il t’avait exactement prévenu, il avait mot pour mot dit que tu ne devais pas user de sa lame de la manière dont tu venais de le faire.

Merde.

Tu lâches la partie que tu as encore dans la main et t’assois dans l’herbe. Les mains sur la tête, tu soupires à la fois d’énervement et de fatigue. « Putain. » Tu dis en t’allongeant complètement sur le sol. Tu avais complètement oublié les conseils qu’on t’avait donné, ça t’était totalement sortis de la tête. A cet instant précis tu ne savais pas ce qui t’énervait le plus : le fait d’avoir casser une arme magnifique que tu venais tout juste d’avoir ou alors le fait de devoir admettre que c’était uniquement de ta faute. Fier comme tu étais avec ton inébranlable confiance en toi, l’idée que tu aies pu faire une erreur aussi stupide t’énervais encore plus. Il fallait quand même bien que tu bouges, elle n’allait pas se réparer toute seule cette arme et tu ne pouvais pas te permettre de faire sans.

Tu fermas les yeux et gardas les paupières closes quelques secondes avant de te relever d’un coup.
Mur rose, atelier des Brotz.

Tu venais souvent par ici. C’était ta forge favorite et celle de beaucoup d’autres soldats d’ailleurs. La famille Brotz était connue pour leur talent de forgeron et personne ne remettait en question leur art. Personne, sauf peut-être toi cette fois. Tu avais attendu que plusieurs heures passent histoire d’arriver au moment où il y aurait le moins de monde possible. Le soleil s’était déjà couché et les rues n’étaient seulement qu’éclairées par les lanternes du mur Rose. Tu connaissais le chemin par cœur. Arrivé devant la bâtisse tu poussas la porte d’entrée, elle fit un bruit de cloche annonçant qu’un nouveau client venait d’entrer dans l’atelier. « Y’a quelqu’un ? » Tu dis en ne voyant personne en arrivant. A ce moment de la semaine et cet instant de la journée, c’est Wilhelm qui devait être présent à l’atelier. Tu pensas qu’il devait être derrière en train de faire quelque chose, profitant du fait que la vague de clients qui était surement présente plus tôt soit maintenant partie. « Wilhelm ? » Tu avais apporté un sac avec toi dans lequel tu avais soigneusement disposé les deux bouts de ton épée brisée plus tôt. En attendant que celui que tu étais venu voir n’arrive tu déposas le sac sur une table.

Bon, qu’est-ce que tu vas bien pouvoir raconter pour ta défense ?

https://www.youtube.com/watch?v=s76zJP0QlWo ♪ Blacksmiths Shop Ambience

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Journée chargée. Ce jour-ci, Wil était supposé être avec les clientes, près du comptoir, à vendre et enregistrer les commandes. La partie qu'il aimait le moins. Il préférait être dans l'atelier ouvert où les gens parfois s'arrêtaient pour les observer travailler. Parfois, l'atelier était fermé aux curieux, des murs coulissants venant bloquer la vue et interdire le passage. Comme aujourd'hui. Aujourd'hui, c'était noir de monde. De quoi éreinter le forgeron qui ne supportait pas devoir entendre les plaintes et les couinements des gens. Il les envoyait paître. Les plus habitués et fidèles de la forge savaient qu'il ne fallait pas titiller ses nerfs et encore moins remettre en question leur talent. Les egos blessés quittaient rapidement les lieux, sous les regards amusés de ceux qui savaient tenir leur langue.
Puis le dernier client quitta les lieux. Wil soupira et s'éclipsa un instant pour aller voir son père dans la forge. Il venait lui apporter de l'eau et se poser quelques minutes dans son lieu favoris. Une brève discussion suivit sur l'importance d'être toujours aimable avec les clients, qui termina par une vanne sarcastique et le son de la cloche à la porte d'entrée. Wil leva les yeux au ciel et, après une dernière parole à son paternel, revint derrière le comptoir lorsqu'il entendit son prénom.

Quelle ne fut pas sa surprise d'y trouver Emir, seul. Il l'avait vu à peine une semaine auparavant ─ ou peut-être plus ? Il ne se rappelait plus très bien. Le forgeron s'approcha et, appuyant le bas de son dos contre le comptoir, côté client, il baissa les yeux. Sur le sac.
Le sac dont le tissu était tiré d'une forme assez familière. Le regard de Wilhelm se reposa sur Emir, mais son expression avait changée ; partagé entre l'agacement et le dépit, il attendait l'explication. Les remarques. Les raisons.
Parce qu'il ne doutait pas un seul instant qu'Emir en aurait à lui offrir. On ne brisait pas un de ses travaux sans l'avoir un peu cherché. De toute manière, il ne faisait pas d'erreur dans son travail. C'était impossible. Il espérait qu'Emir ait au moins l'humilité de reconnaître qu'il s'agissait de sa faute, et pas celle du forgeron. Wilhelm ne pouvait pas avoir tort.

─ ...

Sa tête pencha légèrement sur le côté. J'attends tes explications.

Tu n’avais pas eu à attendre longtemps avant que Wilhelm arrive. Bien que tu fusses un habitué des lieux, tu ne venais pas non plus toutes les semaines. Tu passais ici de temps en temps : passer une commande, récupérer la commande et ça s’arrêtait souvent là. La dernière fois que tu étais passé c’était il y avait exactement six jours. Tu avais passé commande d’une épée et tu étais venu la récupérer enthousiaste à l’idée de te servir de ta nouvelle arme aux entrainements. Le tournois des déesses approchait et tu avais décidé d’y participer, alors tes entraînements étaient de plus en plus fréquents.

Six jours.

C’est le temps qu’il t’a fallu pour casser ta nouvelle acquisition. Seulement six jours. Wilhelm posa ses yeux sur ton sac, et comme s’il avait deviné de quoi il s’agissait, sans même dire un mot, son regard se posa maintenant sur toi. Il avait compris. Il fallait que tu t’expliques maintenant, mais pour dire quoi ? Il semblait attendre que tu brises le silence en premier, ce que tu fis en te raclant la gorge, cherchant toujours les bons mots. Les mots, t’étais fort avec les mots. Tes belles paroles arrivaient toujours à te sortir de n’importe quelle situation. Tu avais tellement confiance en ce que tu disais, que tu arrivais à persuader tes interlocuteurs de la véracité de tes propos. Mais Wilhelm ? Tu savais bien que c’était impossible de l’avoir comme ça. Tu ne le connaissais pas très bien, mais ce que tu savais de lui c’était bien que vous partagiez cette arrogance singulière qui vous poussait souvent à vous placer au-dessus des autres.

Mais voilà, tu avais décidé que ce n’était pas de ta faute, alors c’était forcément celle des autres.

« Bonsoir. » Tu commences en passant une main dans tes cheveux. « Ton épée m’a lâché. » Tu dis simplement, sans sourciller. En prononçant ces mots tu ouvris le sac et en sortis les deux bouts d’épée brisée : « J’imagine qu’elle était trop fragile… » Du grand art. Les armes qui sortaient de cette forge n’était pas trop fragiles, c’est justement pour ça qu’elles avaient autant de succès, il fallait simplement en prendre soin. Ce que tu n’avais pas fait.

Son épée l'a lâché. L'épée. Pas lui. Pas le comment ni le pourquoi. Juste l'épée. Trop fragile de surcroit. Wil sentit comme quelque chose lui piquer la nuque alors qu'il voyait les morceaux. La brisue était nette, sèche, avec quelques éclats. Mais très peu. C'était le risque d'avoir une épée plus légère et plus fine. Selon le choc, l'onde pouvait fragiliser la matière et un deuxième coup pouvait la briser. Ce n'était pas un jouer en bois ni une massue. La mâchoire du forgeron se serra un instant alors qu'il déglutissait et son regard se reposa sur le soldat.
En temps normal, Wilhelm était respectueux envers les soldats. Il leur apportait conseil et écoutait leurs demandes avec beaucoup de patience, offrant toujours le meilleur de lui-même pour les satisfaires ; alors quand ils revenaient avec un problème, la majorité s'excusait de l'importunait ou de ne pas avoir pris soin du matériel. Même lorsque c'était lui qui faisait une erreur, ce n'était pas sa faute. On l'avait également habitué à ne pas en faire ni à les pointer du doigt ; sauf son père.

La main du forgeron se tendit vers le manche de l'épée brisée qu'il attrapa sans délicatesse aucune ; il observa la rupture de plus près, silencieux. Il tourna d'un côté, puis de l'autre, avant d'abaisser son bras et lâcher l'épée brisée sur le comptoir dans un bruit clinquant.

─ Fragile, hein.

Il répéta ses mots, irrité. C'était visible. C'était palpable. Il n'avait pas apprécié la remarque.

─ Ne me prend pas pour un aveugle. Tu as cru que c'était un jouet ou quoi ?

Il se redressa et quitta le bord du comptoir pour le contourner, se retrouvant ainsi face à Emir, l'épée posée entre eux.

─ L'épée n'était pas fragile. Elle était parfaite. C'est ce qu'on fait, ici. Des armes parfaites.

Tout en parlant, il venait d'attraper un chiffon qui lui permit d'attraper la tête de l'épée pour l'observer également. La réparer allait lui prendre un peu de temps. Peut-être ferait-il mieux de simplement la reforger complètement ; plus épaisse en son pied, vu que son possesseur allait être une brute. Et même en faisant ainsi, Emir allait peut-être briser le tranchant, l'émousser trop vite. Allez savoir. Wil lâcha un soupir et tendit la brisure sous le nez d'Emir.

─ Là. T'as frappé ici. C'est en tapant ici que tu l'as brisée. Est-ce que tu m'as seulement écouté quand je te l'ai donnée ?

D’habitude tu prends très soin de tes affaires, surtout de tes armes. Tu considères qu’elles sont aussi importantes qu’une partie de ton corps, surtout en combat car elles ne te quittent jamais. Depuis ton enfance tu suis des entraînements assidus pour porter fièrement le nom des El Hage et ne pas faire honte aux exploits de Samar à qui la famille entière doit beaucoup. Etant le premier garçon de la branche, tout le monde a toujours attendu beaucoup de toi. Emir, brave soldat de l’humanité et membre des brigades spéciales. C’est comme ça qu’ils avaient tous imaginé ton avenir.

Maman, papa, je vais rejoindre le bataillon d’exploration.

Le visage confus de tes parents à l’instant où ces mots sont sortis de ta bouche n’a jamais quitté ta mémoire. Le bataillon d’exploration ? Un groupe que beaucoup dénigraient en se demandant leur utilité et même l’intérêt de leur nom. Le bataillon d’exploration avait pour mission d’explorer le monde en dehors du mur, mais il y a bien longtemps que vous n’aviez rien trouvé. Alors en attendant que la chance vous souris un jour, tu ne ratais aucun entraînement.
Cette fois-là encore tu t’entrainais. A l’approche du tournoi des déesses tu devais mettre toutes les chances de ton côté pour une possible victoire devant toute la population des murs. Tu perfectionnais ta maîtrise de l’épée, mais les choses n’avaient pas tourné comme tu l’aurais voulu. Et te voilà de retour à la forge des Brotz essayant de masquer ton erreur derrière des accusations qui ne trompaient personne. Visiblement Wilhelm n’avait pas bien pris ta critique. En quelques coups d’œil il avait remarqué que la faute était tienne et qu’en aucun cas son œuvre était responsable.

« Ouais, ouais » Tu dis dans un soupire en levant les mains comme lors d’un hold up. Tu laissais le forgeron inspecté l’arme qu’il t’avait confectionné quelques jours plus tôt, sans rien dire d’autre. Lorsqu’il reparla des précautions qu’il t’avait dit de prendre, tu ne répondis pas tout de suite. « Euh… Bah… » Tu avais pourtant déjà réfléchi à une excuse, mais en face d’un expert tu ne croyais plus trop en ta crédibilité. « Si, bien sûr que j’ai écouté ce que tu m’as dit ! » Tu croisas tes bras sur ton torse. « Mais peut-être que si t’avais un peu plus insisté… » Tu raclas de nouveau ta gorge. « Hm… Bref, du coup ? Tu penses que tu peux réparer ça ? » T’espérais qu’il pourrait le faire le plus rapidement possible : « Genre… Tout de suite ? » Et tu étais parfaitement sérieux.

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Il était toujours étrange de voir combien Wilhelm pouvait s'énerver lorsque quelqu'un revenait avec une épée brisée. Quelques rumeurs circulaient à ce sujet et les avis étaient partagés ; étaient-ils amoureux de ses propres créations, ou bien détestait-il juste les gens ne prenant pas soin de leurs affaires ? La vérité, c'était juste une question d'ego. Il n'était pas concevable quelqu'un vienne lui montrer une épée que lui, de ses bras forts, avait forgés, et qu'elle se soit brisée. C'était une insulte, une atteinte à son travail. Il ne laissait personne toucher à son estime, encore moins remettre en question sa qualité de forgeron. Ce n'était pas acceptable, purement et simplement.
Alors qu'Emir semblait chercher un brin d'excuse à se mettre sous la dent pour éviter de paraître trop ridicule, le forgeron gardait les mains sagement posées sur le comtpoir mais le fusillait du regard. Un regard sombre, noir, mauvais, qui sous-entendait qu'il avait juste envie de lui casser le bras comme lui avait cassé son épée. Donnant-donnant. Mais bien évidemment, il n'allait pas le faire. Trop raisonnable - ou justement pas assez déraisonnable pour franchir cette ligne.

Emir balbutiait. Il ponctua sa phrase. Et Wil réagit au quart de tour, comme un lance-pierre trop tendu dont l'élastique venait de claquer.

─ T'es sérieux ?

L'agressivité de sa voix laissait bien comprendre qu'il avait envie de l'envoyer paître. Cependant, il savait l'épée réparable. Elle n'était pas foutue, bonne à jeter. Wil pouvait la sauver, comme beaucoup d'autres, tant il connaissait ses travaux.
Son torse se redressa lentement tout comme son poing frappa assez sèchement le comptoir, faisant claque le fer de l'épée contre le bois, ainsi que les deux-trois outils posés en bout de table. Un clou tomba. Puis le silence. Wil n'avait pas décroché son regard et siffla entre les dents quelques menaces à peine masquées.

─ Ne bouge pas d'ici, j'en ai pour une minute.

Il attrapa le manche au pied brisé puis la lame dans le chiffon, sans jamais lâcher Emir du regard. Quand enfin son visage se détourna de lui, c'était pour lui tourner le dos et disparaître dans la forge quelques instants.
Un silence lourd et pesant retomba pendant de longues secondes. La porte, lentement, grinça, se refermant inéluctablement sur la forge pour ne laisse qu'Emir seul avec lui-même ; mais avant qu'elle ne touche l'embrasure de la porte, Wil était revenu, poussant la porte en bois brutalement, la main à plat dessus. Le regard sombre à nouveau vissé sur Emir il reprit place derrière le comptoire et tendit la main. Purement et simplement. Paume vers le ciel.
En silence.

Blablater c’était ton truc. Tu trouvais toujours quelque chose à dire, puis à redire. Tu trouvais toujours quelque chose à reprocher aux autres, et quand tu ne disais rien, tu n’en pensais pas moins pour autant. C’était comme ça depuis ton enfance. Peut-être était-ce dû à ton éducation ? Tu étais l’unique garçon parmi tes sœurs et tu avais été bien gâté pour ça. Tu avais été élevé pour être quelqu’un d’important, quelqu’un de fort et de courageux, et en chemin tu étais devenu quelqu’un de bien trop orgueilleux pour vouloir gentiment se remettre en question. Alors oui c’est vrai que t’avais cassé l’épée que Wilhelm t’avait faite, c’était vrai aussi que tu n’avais pas suivi ses consignes. Mais ce n’était pas uniquement de ta faute. Si l’espace d’un instant ses conseils t’étaient sortis de la tête, c’était parce qu’il n’avait pas assez insisté. S’il t’avait bien fait comprendre à quel point ses remarques étaient importantes, tout ça ne serait pas arrivé. Cette version-là te convenait, mais vu le regard que le forgeron t’avait lancé lorsque tu lui avais rejeté une nouvelle fois la faute, cette version ne lui convenait pas. Tu tentas de changer de sujet rapidement. A qui la faute ? Peu importe. Le plus important était qu’il puisse te réparer ton épée et que tu puisses recommencer ton entraînement. Il avait l’air très agacé, mais tu ne te repentis pas pour autant. Tu étais un client, il devait répondre à ton besoin. C’était son métier.

« Ok. » Tu dis simplement en le laissant emporter ton arme brisée avec lui. Il ne te lâche pas des yeux, mais tu soutiens son regard. Tu ne voulais pas avoir l’air d’avoir quelque chose à te reprocher, tu n’allais quand même pas fuir la confrontation. Puis il quitta la pièce, mais tu n’eus même pas le temps de respirer qu’il était déjà de retour. Tu levas un sourcil, dubitatif : qu’est-ce qu’il avait ? Il semblait te tendre la main en attendant quelque chose. « T’as oublié quelque chose ? » Tu demandais nonchalamment. Peut-être que t’avais oublié quelque chose toi, non ? Non ? Ok. « Ah ! C’est vrai ! » Tu semblais t’être souvenu de quelque chose d’important. Tu cherchais dans tes poches, puis ne trouvant pas ce que tu cherchais, tu regardas à nouveau dans le sac. « Ah voilà ! » Tu lui mis dans la main un troisième bout de la lame que tu avais brisée. Il en aurait sûrement besoin pour tout réparer. Le bout était plus petit que les deux autres alors il était resté au fond du sac. « C’est bon. » Tu dis, satisfait. Et du coup… Tu comptes pas payer ?