Elle dépasse les rosiers sauvages, démarche enfantine dans le corps d'une femme, presque maladroite. Elle s'est de nouveau échappée, la princesse. Pas de sa tour, cette fois, mais de l'arène dans laquelle elle est censée être. La forêt est une mélodie qui n'attend que le rythme endiablé de ses pas. Elle voudrait danser, Svenja. Le tintement des épées, des sabres et des lances est loin derrière elle désormais, et ce ne sont que les doux accords des oiseaux qui lui parviennent. Une colombe parmi les colombes. Ses boucles dorées se soulèvent en même temps qu'elle se balance entre les arbres et ses lippes s'élargissent à mesure qu'elle s'éloigne.
La liberté. Elle savoure le doux plaisir de cette sensation qu'elle ne connait que trop peu. Elle l'avait découvert une première fois grâce à lui. Ses prunelles et des cheveux de jais, sa peau claire et douce. Et ce sourire si singulier, qu'elle ne peut oublier. Jin. Son esprit s'exile le temps d'un instant vers le souvenir de cette soirée éternelle. Les derniers mots qu'elle lui a prononcé lui ont déchiré le cœur et l'âme. Un poignard qui s'enfonce dans la chair indéfiniment. Adieu, Jin. Des adieux qui rongent l'esprit. Elle a eu mal, Svenja. Mais elle va bien.
Elle va mieux.

La tenue de combat pèse lourd sur ses épaules. Sa dague coincée dans la ceinture, elle court sur le sentier qui mène à la clairière. Le seul lieu d'entrainement pour ceux qui n'ont pas les moyens d'aller dans l'arène. L'arène. Bientôt, elle combattra pour la première fois lors du tournoi  l’intérieur de celle-ci. Peut-être, ses entrainement porterons leurs fruits. Peut-être.
Et si elle s'enfuit, aujourd'hui, Svenja, c'est pour échapper aux combats qu'on lui ordonne de faire. Échapper aux ordres. Échapper à tout.
Et s'enfuir, s'enfuir, s'enfuir pour toujours. Loin de la demeure, loin dans les cieux.
Ils sont là, elle les voit. Ces combattants à l'âme brave. Audacieuse. De veilles épées à la main, des dagues rouillées. Voilà, ce dont elle a rêvé. De l'authenticité. Son regard parcourt les visages, les observe.
Son cœur s'arrête le temps d'une seconde.
Boum boum boum.
D'une éternité.
Boum boum.
Et il explose.

-Jin !

C'est encore un jour. Une journée, à se trainer sur la terre brûlé d'un trop plein de soleil qui ne cesse de briller. Il ne sait même plus quand Jin, il a cessé d'en être réchauffé, à se laisser couler en faisant semblant de savoir nager. Peut être qu'en continuer de l'imiter, il finirait par réellement s'en réchauffer. Aux sourires qu'il distribuait, aux étreintes qu'il égrenait. A sans cesse bouger pour se changer les idées, pour faire autre chose que de rester affalé sur les flancs de la vallée.  Pour se donner bonne conscience. Il ne faudrait pas qu'il oublie tout ce qu'il avait apprit, c'est ce qu'on lui dit. Mieux valait entretenir le corps et l'esprit. Et pourquoi, si la gloire le permet, briller dans l'arène et ramener quelques pièces. Alors il fallait se dépenser intelligemment. Ne pas errer sans but éternellement, entrer dans les normes.

Mais Jin, il leur rit au nez, aux normes, depuis toujours et pour toujours. Il ne sait pas à quoi ça ressemble, d'être normale, respectable, conforme à un idéal. Lui il est détestable, spécial - mais pas dans le bon sens du terme. Il a toujours eut un goût pour après tout, l'interdit. A faire l'exact contraire de ce qu'on lui dit. Alors oui, peut être, qu'il se sentirait mieux au coeur de l'arène, justement parce que Rell lui aurait dit de ne pas le faire. Peut être. Mais ce n'est pas encore le noeud du problème. Pour l'instant, il n'est que ce type qui abat ses poings sur un mannequin de cuir. Parce qu'à défaut d'être constructif, ça a au moins lui mérite de lui vider de l'esprit. De tout effacer autour de lui. Ou presque. Parce qu'il y a cette voix qui résonne soudainement à ses oreilles, cette voix éternellement reliée à un seul nom sur cette hémisphère: Svenja. Sven-ja, comme les notes d'une dernier soupir avant le trépas.

— Svenja?

Il sourit, le grand gamin, il tourne un instant sur lui même avant de s'arrêter face à elle, l'étonnement s'esquissant sur le coin de ses lèvres. Il y a des notes d'interrogations dans le creux de son regard, ses yeux qui dévalent de ses boucles dorés à son corps solidement protégé.

— Vous êtes aussi guerrière? Combien de talent cumulez vous comme ça?

Jin, il l'aurait d'avantage imaginé comme une femme de lettre. Madone cultivée dont il peinerait à suivre le fil des conversations tout en prétendant y parvenir à chaque seconde. Mais il s'en moquait présentement, laissant ses doigts s'enfouir dans ses boucles blondes afin de les caresser avec affection.

— J'imagine que vous êtes ici pour le tournoi des trois déesses?

Il est là, devant elle. Plus réel que jamais.
Mais elle ne peut se résoudre à y croire, Svenja. Elle pensait lui avoir dit adieu pour toujours, la colombe. Elle pensait que les souvenirs de l'homme se résumeraient à cette soirée volée et imprévue, vécue sous la protection de la déesse rose.
Mais non.
Il est réel, tout autant qu'elle l'est. Et des sourires naissent sur leurs lèvres. Des rictus assouvis de sincérité, de bonheur et d'embrasement.

- Des talents ? J'en ai des centaines, peut-être même des milliers, vous savez. Mais guerrière, je ne sais pas. Tout ce que je fais, c'est surement prétendre l'être.

Un rire espiègle, enfantin résonne et s'envole vers Jin. Ses yeux brillent, à la gamine, et son regard s'illumine d'un éclat nouveau, taquin. Leurs corps se rencontrent et forment une douce étreinte. Elle sent les doigts de Jin se perdre dans sa chevelure, alors que elle-même laisse ses paumes se fondre dans son dos.
Le soleil heurte sa peau fragile, et elle maudit, le temps d'un instant, l'épaisse armure qui recouvre ses épaules. Elle se souvient, pourquoi elle l'a revêtu. Le tournoi.
Quand tu auras dix-huit ans, je te promets, son père lui avait dit. Il est temps, désormais.
Et elle compte bien tout donner, l'enfant.

-En réalité, je n'habite pas très loin d'ici. Mais vous avez raison, je compte bien participer au tournoi cette année.

Ce sont des iris guerriers et déterminés qui font désormais face à l'homme. Depuis son plus jeune âge elle s’entraîne pour ce tournoi. Pour faire face à la promesse volée d'un père qui ne croit surement pas en elle.
Et elle lui montrera, Svenja, qu'elle peut le faire.
Que la rose s’épanouira enfin. Enfin.

-Je suppose que vous êtes là pour la même raison. Ce serait drôle, que l'on tombe l'un contre l'autre, vous ne pensez pas ?

Il avait les bras qui se refermaient autour d'elle, les doigts enfouit dans ses cheveux, un sourire jouant sur ses lèvres. Elle était douce, la rose, lorsqu'elle se faisait tendre, féline amicale à la peau de soie.
Il se surprenait presque à constater qu'elle ne l'avait oubliée, qu'il n'était pas un souvenir de plus relégué aux placards de son palais. Pendant une nuit, il avait compté. Et ça lui faisait beaucoup plus plaisir qu'il ne l'aurait pensé.

— Qui pourrait dire que vous prétendez l'être sans vous avoir vu combattre dans une arène?

Elle a le rire qui tinte comme le fracas d'une clochette, bas et ténu, délicat comme un murmure. Elle est lumineuse la princesse, beaucoup trop pour l'imaginer avec du sang sur les mains. Mais un combat d'arène - un combat pour l'honneur, était soumit à  de toutes autres règles. Il avait bien assez souvent vu ses soeurs avec une arme au poing pour douter de la valeur d'une femme sur un champ de bataille.  

— Vous êtes donc originaire de Sina, pourquoi choisir de combattre si ce n'est pas indiscret?

Il s'en intéressait sincèrement, lorsqu'il l'avait rencontré, insouciante des pavés et des lampions colorée, elle lui avait donné l'impression de vivre enfermé, recluse dans un monde qu'on avait prit soin de lui fabriquer sans jamais lui en laisser la clé. Il avait aimé sa répartie Jin, son joli culot propre aux esprits libres. Son audace et son courage, cette manie qu'elle avait de tout redécouvrir, tout vivre comme si elle foulait à peine le sol de cette ville. Mais il ne lui avait pas semblé que sa famille la laisserait participer à ce genre de festivité. Il acquiesce à sa question, une main ébouriffant les mèches humides parsemant sa nuque.

— Oui, la récompense en cas de victoire est bonne. Vous avez envie de constater ce que je vaux dans un combat?

Il rit le grand môme, avec quelque chose d'un rien moqueur dans le regard. En vérité, il ne savait pas ce qu'il ferait s'il tombait face à elle. S'il la blesserait, s'il souillerait sa peau de bronze et tâcherait ses boucles blondes. L'idée même lui semblait incongrue de lever la main sur celle qui avait éclipsé la lune.

Ce n'était pas son choix.
Elle n'a jamais eu le choix, Svenja, et ne fait qu'obéir. Des cours, des leçons, des entraînements. Ça parait si simple, sur le papier nacré. Si seulement ça l'était. Et la triste tragédie, c'est qu'elle excelle dans chaque domaine, l'enfant. C'est un génie, et son intelligence a causé sa perte.
Mais aujourd'hui, c'est son choix. De combattre, de s'inscrire au tournoi. Même si au fond, ce ne sera jamais pour elle et elle seule. Elle a besoin de prouver à son père qu'elle peut le faire.
Et elle y arrivera.

- Pourquoi combattre si ce n'est pour se prouver quelque chose ?

Un combat.
Elle incline la tête, ses boucles blondes suivent le mouvement, rayonnent sous l'effet du soleil. Leurs rires se mêlent, un chant exquis qu'elle grave en elle, Svenja. Sa main descend lentement jusqu'à la dague qui pare sa ceinture. Le métal scintille, lui aussi. Pendant une courte seconde, elle se voit dans le reflet de l'arme. Une femme fragile qui porte l'impitoyable noblesse jusqu'au bout de ses lèvres. Une enfant à qui on a demandé de grandir trop vite. Une rose qui n'a pas fini se s'épanouir, mais que l'on veut déjà cueillir.
La lame qui reluit dans sa paume lui décèle à quel point la vie ne tient à rien. Si courte et éphémère. Elle apparaît comme une aventure mièvre et mielleuse, mais n'est en réalité qu'une tragédie cruelle et légère. Et il serait si simple de s'abandonner à la lame qui lui trancherait la peau et la chair. Si simple. Trop simple.

- Etes vous certain de vouloir vous confronter à moi ?

Mais la question n'a pas d'impact, elle rebondit dans leurs esprits et s'envole finalement jusqu'aux cieux. Au fond, ils le savent déjà, Jin et Svenja, et leurs regards ne trompent pas. Ils s'embrasent, lueur de défi qui s'éveille dans leurs prunelles. Ce combat aura bien lieu.
Et au fond, elle est effrayée, l'enfant, de ne pas être à la hauteur.

Pourquoi combattre si ce n'est pour se prouver quelque chose ?
Pour la récompense. Parce qu'il y avait des enfants qu'il laissait derrière lui une fois qu'il repartait en campagne, loin de Maria et de ses éternels tracas. Mais jamais loin de celui qui avait fait de son coeur une entité orpheline, jamais loin de Rell et son inquiétude presque maternelle.

— Il y a milles et une autres raisons qui pourraient vous pousser à combattre.

Même s'il aurait été bien incapable de dire ce qui le poussait à prendre les armes Jin. Une infinité de "oui mais..." dépourvu de toute finalité, des excuses solidement tissés les unes aux qui ne trouvaient aucun écho de vérité. Si ce n'est s'éloigner, se plonger dans une tâche qui lui restituerait une partie de sa pleine individualité. Est ce qu'il pouvait encore prétendre être un soldat alors qu'il trainait son corps dans chaque couloir tel un naufrage?
Jin, il a son regard qui se baisse sur la dague qui pare sa ceinture, écho silencieux à la sienne, fermement retenue dans l'étui coincé dans sa botte. C'est un sentiment étrange que de tenir une arme de le creux de sa main. De la brandir avec la certitude que quoi qu'il arrive, elle finirait par servir, en bien ou en mal, à ôter la vie d'autrui. On ne peut participer à un combat sans prendre le risque de blesser la personne qui nous faisait face. Et est-ce qu'il voulait blesser la jolie Svenja Jin?

— Bien sûr que non. Je préférerai qu'il en soit autrement.

Il en est pleinement conscient, le plus dur serait de tomber face à une de ses connaissances. Ou tout du moins, une des femmes qui pavaient son existence et face à qui il s'était promit de ne jamais lever la main. Mais il sourit le gamin, il caresse ses boucles blondes avec ce rictus qui le quitte pas et jette un regard à l'endroit.

— Mais si ça venait à arriver je ne retiendrai rien. Vous n'êtes pas un adversaire à sous estimé.

Rien n'était plus à craindre qu'une femme qui vous observait ainsi sans sourciller. Louve déterminée prête à vous dévorer le coeur de leurs crocs acérés.

Il y a milles et une autres raisons qui pourraient vous pousser à combattre. Mais elle n'en a pas besoin, de ces raisons. L'argent, la gloire, la reconnaissance, l'admiration. Non. Elle n'a pas besoin de tout cela, la colombe, elle vole déjà bien assez haut, après tout. Elle voudrait seulement qu'il la voit, ce jour là. Qu'il l'observe combattre et que, peut-être, pour la toute première fois, il soit fier d'elle. Est-ce des raisons impures qui la poussent à participer à ce tournoi ? Elle pense aux hommes et femmes qui se battent à l’extérieur des murs. Eux, auraient plus de mérite à gagner. Elle n'en aurait pas, Svenja, car la seule et unique raison qui la pousse à combattre est, au fond, d'un égoïsme immoral.
Pourtant, elle n'abandonnerait pour rien au monde. C'est une enfant solitaire en recherche d'affection, et elle ferait tout pour un peu d'amour. L'amour. Au fond, sait-elle réellement de quoi elle parle, lorsque ces syllabes franchissent ses lèvres remplies ? Probablement pas. Car lorsqu'on lui parle d'amour, personne ne lui vient à l'esprit. Ni son père, si même Svea.
Est-ce que Jin l'aime ? Comme une amie, pour ce qu'elle est. Peut-être, elle l'espère.

Elle assène le premier coup, et elle sait qu'il sera facile pour Jin de l'éviter. Elle ne veut pas le blesser. Surtout pas. Mais l'enfant se doute que si quelqu'un doit finir à terre, aujourd'hui, c'est bien elle. Pourtant, elle ne fléchit pas, jamais. Les muscles de Jin saillent en face d'elle, et des perles brillent sur son front. Elle sert les poings, les porte devant elle. La lame fine de sa dague est finalement restée dans l'étui de sa ceinture. Elle ne veut pas voir le sang écarlate couler, Svenja. Pas le sien, pas celui de Jin. Alors elle mise sur la ruse, le déconcentre. Et elle espère, la colombe, en apprendre un peu plus sur celui qui lui a fait découvrir le monde, Svenja.

- Dites moi Jin, d'où venez vous, si ce n'est pas trop indiscret ?