be my mirror, my sword and shield, my missionaries in a foreign field

"marché, à l'aube demain
na"

cinq mots et un sceau. rien de plus. il n'y a jamais eu besoin de plus, pas même d'une réponse. pourtant nell a le sentiment qu'emir viendra. il en faut plus qu'une simple altercation pour empêcher les amis de se retrouver. pour l'instant tout du moins. il aurait pu lui donner rendez-vous dans les vergers, il aurait pu lui donner rendez-vous chez lui. mais les oreilles curieuses sont bien trop nombreuses dans le silence des couloirs, et les feuilles des arbres ne savent guère étouffer leurs paroles. alors il se retrouve aux aurores à attendre au coin d'une ruelle reliée au marché. la foule se presse déjà dans les allées et le brouhaha est suffisamment dense pour qu'il n'entende pas les pas de son ami derrière lui. nell se tend sensiblement quand la silhouette se dessine à ses côtés, bien plus grande, bien plus imposante que lui. il le frôle à peine mais le contact suffit à lui couper le souffle le temps d'un instant. leurs regards ne se croisent pas, se contente de rester fixés sur la foule en mouvement devant eux, mais il n'a pas besoin de plus que l'aura du soldat pour le reconnaître. et puis après avoir passé tant d'années ensemble, il n'a plus besoin d'autre chose que son instinct pour le reconnaître parmi tant d'autres. il aurait pu lui offrir un salut poli, une poignée de mains, un silencieux on passe à autre chose mais la fierté l'emporte. ça fait des années qu'elle l'emporte, qu'ils ne s'excusent pas, ne se voient que pour se cracher leur venin, leur frustration à la figure. c'est toujours le même schéma. faire comme si de rien n'était, comme s'ils s'étaient quittés dans les meilleurs termes du monde, prendre des nouvelles platoniques, parler du métier d'emir, faire des reproches, pousser l'autre à bout, se quitter sur une altercation. depuis des années, c'est la même trame. mais cette fois, c'est différent, nell a besoin de quelque chose, alors il ne peut pas se permettre de faire n'importe qui. j'ai besoin de toi. c'est à peine plus qu'un murmure. et ils se mettent en route. il garde ses mains derrière son dos dans une posture presque aussi militaire que celle d'emir. ils se fondent dans la foule. leur danse a commencé, et pour une fois, nell ne sera pas le premier à attaquer, il se l'est juré.

Tes yeux se posent sur le papier blanc cassé froissé par le voyage. Tu n’as pas l’intention de répondre, tu n’avais pas besoin d’y répondre. Pour dire quoi ? Alors tu avais simplement plié la feuille de papier en deux, peut-être même quatre, et tu étais retourné à tes occupations. Tu avais beau lui en vouloir, lui reprocher des tas de choses, lui trouver tous les défauts du monde, s’il t’avait demandé de venir le voir : alors tu le ferais.

"marché, à l'aube demain"

Cinq mots qui t’avaient guidé à cet endroit précis. Les mains dans les poches de ton pantalon d’uniforme de soldat, tu avances nonchalamment entre la foule. Il était là, de dos. Tu n’avais pas besoin de voir son visage pour le reconnaître, un simple coup d’œil sur sa chevelure blonde t’avait suffi. Depuis le temps vous n’aviez plus besoin de longues phrases et de grands discours, vous n’aviez plus besoin de tout ça pour vous reconnaître l’un et l’autre.

Alors pourquoi est-ce que l’atmosphère était si froide entre vous ?  

Tu rejoins ton meilleur ami, sans rien dire. Lui non plus ne dit rien. Personne n’allait s’excuser, personne ne parlerait de votre dernière dispute, personne ne briserait la glace. Comme d’habitude. Il a besoin de toi. Tu fronces légèrement les sourcils, tu crois ne pas avoir bien entendu, mais tu ne t’es pas trompé. Tu jettes un regard discret à ton ami toujours en silence puis vous commencez naturellement à vous fondre dans la foule. « Qu’est-ce que t’as fait encore ? » Les mots sortent d’un ton plus agressif que tu ne l’aurais voulu, alors tu te rattrapes : « Enfin, peu importe. J’imagine que tu peux compter sur moi. » Tu ne savais pas ce qu’il voulait, pourquoi il avait besoin de toi, ce que tu étais censé devoir faire pour l’aider. Mais il pouvait compter sur toi. Tu n’avais pas envie que cette rencontre aussi se termine mal, tu voulais faire des efforts.

Faire des efforts. Essaie de tenir encore un peu Emir.

il ne peut s'empêcher de lever les yeux au ciel quand le encore résonne dans ses oreilles. il s'apprête à rétorquer mais son ami hausse les épaules et passe à autre chose. il imagine qu'il peut compter sur lui. c'est mieux que rien. la confiance reste aveugle. leurs années d'amitié sont plus importantes que leurs petits différends, et ça lui fait presque chaud au coeur. nell n'a rien de loyal, ne croit qu'en lui-même. mais pour emir, il risquerait gros. pourtant c'est plus souvent la réciproque qui s'applique. il s'arrête devant un étalage de fruits et lance quelques pièces au marchand, se saisit d'une pêche et croque dedans avant de continuer. disons que j'ai encore accordé ma confiance à un mauvais client ils savent tous les deux que c'est loin d'être une erreur délibérée. que nell accepte de vendre des choses même aux plus désargentés des puissants pour mettre ses griffes sur des informations précieuses, pour trouver une piste. ce sont des sacrifices qu'il est prêt à faire, temporairement. une fois les informations obtenues, il frappe. menaces, chantage. il veut son argent. après tout, il est dû. et s'il doit intimider l'infortuné alors amen. ainsi soit-il. la pitié, sentiment inconnu au bataillon. et sans doute est-il légèrement inconnu à emir. après tout il faut bien ça pour devenir un soldat. et tu sais comment ils sont, les mots ne suffisent pas à leur faire comprendre qu'ils doivent s'exécuter... il arrive que même ses mots, son venin, ne suffisent pas à faire flancher. alors il faut passer au stade 2, montrer que ses menaces ne sont pas que des paroles. nell s'arrête un instant et emir l'imite, deux pas devant lui. ils se fixent et un sourire diabolique étire les lèvre du citadin. il pose sa main sur le biceps du soldat et hausse les épaules, laisse son bras retomber inerte le long de son corps. tu pourrais mettre tes muscles au service de la bonne cause. le pour une fois sous-entendu flotte dans l'air aussi épais que s'il avait été prononcé à voix haute. pour la bonne cause. pour ma cause.

D’aussi loin que tu te souviennes cette tignasse blonde avait toujours été à tes côtés. Il avait été ton premier ami. Sans compter tes sœurs avec qui tu avais l’habitude de passer beaucoup de temps enfant, l’héritier des Aries et toi étiez inséparables.

Et puis vous avez grandi.
Tu as rejoint l’armée et vos préoccupations, autrefois communes, ont suivis des chemins différents.

Tes pas suivent mécaniquement ceux de Nell, il s’approche de l’étalage d’un vendeur de fruit et tu le regardes simplement se saisir d’une pêche en attendant qu’il te donne davantage de détails. Tu n’avais pas faim, tu avais pris quelque chose juste avant de le rejoindre. « Bah tiens ! Je suis même pas étonné. » Tu lui dis un brin moqueur. Tu reconnaissais bien là les mauvaises habitudes de ton meilleur ami. C’était toujours comme ça avec lui, il avait tendance à faire affaire avec de mauvais clients. Le pire c’était qu’il le savait parfaitement, mais qu’il continuait à le faire quand même. Tu n’avais pas de leçon à lui donner, tu savais qu’il n’était pas stupide et qu’il arriverait toujours à s’en sortir. Quitte à ce que tu l’aides de temps en temps. Tu continues d’écouter les explications de Nell lorsqu’il s’arrête soudainement tandis que tu continuas ta marche avant de t’arrêter aussi. Tu le regardes en sachant pertinemment la nature des mots qui allaient maintenant sortir de sa bouche. Tu devras faire le sale boulot. Tu laisses Nell toucher tes muscles et alors que tu t’apprêtais à lui répondre quelque chose, ses mots suivants te font froncer les sourcils une seconde. Pourquoi est-ce que ce qu’il venait de dire semblait être une critique ?

Faire des efforts.

Quelle bonne cause ? Est-ce qu’il pensait que la manière dont tu utilisais tes muscles, pour l’armée, n’était pas déjà une bonne cause ? Est-ce qu’il cherchait à te provoquer ? Non, peut-être que c’était toi qui t’enflammais pour rien. Sûrement. Aucune dispute n’a éclatée pour l’instant.

Des efforts…

« Je mets mes muscles au service de la bonne cause tous les jours Nell. » Tu n’avais pas réussi à ignorer la petite étincelle qui s’était allumée en toi. « Pas sûr qu’on en est la même définition… » Tu avais dit ces mots dans un murmure, peut-être un peu trop fort, mais ce qui est dit est dit. « Et donc ? Tu veux que j’aille briser des jambes ou des bras ? »  

il lâche un ricanement amer et jette le noyau de sa pêche au sol. une discussion qu'ils ont eue, maintes et maintes fois. la bonne cause, peut-être, mais le résultat reste maigre, voire inexistant. il aurait mieux fait de rester dans une équipe de son rang. intégrer la brigade spéciale. s'assurer du calme interne plutôt que de combattre un ennemi inexistant. pour le moment. la bonne cause. certes. mais uniquement dans sa tête. explorer, explorer, explorer. quelle drôle d'idée. mais c'est un débat sans fin, une lutte sans victoire, ni pour l'un, ni pour l'autre. juste une défaite pour leur relation. alors nell se tait et émir continue de parole, ne lui laisse de toute façon pas le temps de renchérir. tant mieux. ses épaules se sont tendues, malgré elles. un sourire un peu plus sincère, mais pas moins carnassier, nait sur son visage. c'est ça dont il a besoin. les muscles et la cruauté. la loyauté. il hausse les épaules. peu importe, pour le moment je ne pense pas qu'il y ait besoin d'aller jusque là il a toujours préféré éviter d'user de la force. parce que l'oeil appelle l'oeil, et que la dent ne saurait tarder s'il s'aventure sur cette voie-là. bien sûr qu'il l'a déjà fait, bien sûr qu'il a déjà cassé des mâchoires, noyé des femmes pendant quelques minutes. mais menacer reste bien plus sûr pour lui. les mots appellent les mots, pas les représailles. et il n'a rien à cacher. juste ramener ta jolie paire de bras avec moi, histoire de lui faire un peu peur. ça devrait suffire. s'il ne s'agissait pas de son meilleur ami, il lui lancerait un clin d'oeil appuyé. d'ailleurs t'es sûr qu'ils vous nourrissent assez dans ton troupeau ? t'as l'air pâlot un silencieux ça va ?, parce qu'il s'inquiète quand-même pour emir, au fond. parce qu'il a choisi une voie dangereuse, et qu'ils ne savent jamais quand sera la dernière fois qu'ils se verront. mais elle flotte au dessus de leurs têtes, épée de damoclès que nell ne sait pas ignorer.

Tu aurais voulu qu’il ait les mêmes ambitions que toi. Tu aurais voulu que vous vous engagiez tous les deux dans l’armée, que vous juriez tous les deux de consacrer votre vie à la défense de l’humanité. Tu aurais voulu tenir les armes avec lui, porter le même uniforme et explorer l’inconnu, l’au-delà du mur avec ton meilleur ami. Vous auriez passé beaucoup plus de temps ensemble, tu aurais pu retrouver le garçon avec qui tu t’amusais tellement avant. Peut-être que c’est toi qui t’es trop écarté du chemin que vous étiez censé suivre. C’était peut-être de ta faute cette incompréhension pesante qui régnait désormais entre vous. Tu détestais entendre Nell critiquer la voie que tu avais choisi, mais est-ce qu’il avait tort ? Tu t’étais lancé dans une quête difficile dont les retombés n’arrivaient pas. Tu disais vouloir explorer le monde extérieur, pouvoir y découvrir son immensité. Presque dix années étaient passées depuis, et quoi ? Rien. Pourtant tu avais toujours ce même entrain, ce même rêve, ce même désir et cette même conviction. Tu souris à sa nouvelle remarque sur tes bras, mais alors que tu pensais que vous pourriez discuter normalement cette fois, sa remarque suivante ne manqua pas de t’énerver un peu. « T’en fais pas pour moi. » Tu réponds simplement pour ignorer le fait qu’il ait comparé ta brigade à un troupeau. « Je t’assure que je mange bien, j’me plaint pas. » Quand tu étais au qg du bataillon d’exploration tu ne mangeais pas aussi bien que lorsque tu rentrais dans Sina, mais ça pouvait être pire. « Enfin, peut-être pas autant que toi. J’imagine que vivre juste pour soi-même en en ayant rien à faire du monde, ça doit être super tranquille, non ? » Tu aurais voulu qu’il ait les mêmes ambitions que toi. Et tu lui en voulais que ce ne soit pas le cas. C’était tellement compliqué tout ça. Tellement de prises de tête inutiles. « Et du coup, c’est qui ce client ? »