visage de chérubin, gestes timides. il faut dire qu'elle ne se démarque pas des autres, une gamine de plus, arrivée à l'armée un peu par hasard, trop jeune pour faire face à la misère du monde, trop peureuse encore. elle a beau être belle, sa présence est trop infime pour qu'on la remarque. jusqu'à cet instant précis, tu ne l'avais jamais vue, en fait. comme si elle était apparue maintenant, là, tout de suite. figure éthérée, tu hésites à l'approcher. t'es sans peur, sans craintes, et pourtant, parler la gamine solitaire relève du défi. c'est avec des gestes doux que tu décides de te rapprocher (il ne faudrait pas l'effrayer, l'enfant sauvage). à chaque pas, le vacarme du réfectoire s'atténue un peu plus pour venir mourir aux pieds de lucrezia. c'est une aura de calme qui l'entoure. tranquillité presque céleste, tu es immédiatement intriguée par son identité. tu l'imagines fille de paysans, ou de pêcheurs peut-être. mais elle a un petit quelque chose de plus distingué, alors tu doutes de ta propre perception. à à peine dix-sept ans, tu ne sais pas encore trop juger les gens. la tête haute, les bras croisés, tu lui craches un simple "bénis soient les trois" au visage. tu ne veux pas te montrer trop intéressée, non plus. si elle veut en savoir plus sur toi, ça sera à elle de creuser. (ça, c'est ce que tu dis, mais tu aimes divulger ton identité au premier venu. habitude que tu as perdu au fil des années, par peur du jugement ou peut-être par simple fierté. parce que tu n'es plus juste une osmer, tu es une entité à toi seule. un monument en construction. ce n'est plus un nom qui te fait, ou un père, un frère.) "tu es seule?" la question se répond d'elle-même, mais tu as cette sale habitude d'enfoncer le couteau dans la plaie, même involontairement. aucun affront sans avoir d'abord fragilisé sa victime.

You're on your own, in a world you've grown
Few more years to go, don't let the hurdle fall
So be the girl you loved,

Sa bouche s’écarte pour mâcher avec ardeur le bout de pain, sensation de plaisir quand sa langue caresse la main, se mélangeant à la viande trop cuite. Elle comprend à quel point la nourriture d’Anibal pouvait être délicieux – quoi qu’il fasse, cela était toujours parfait à son regard – et comprend à quel point il n’avait pas exagéré sur les qualités de vie. Elle y repense, à ces lettres étalés dans la chambre qu’elle relisait une à une les soirs d’insomnies. La fatigue n’a jamais été un ennemie tant le sommeil n’est pas son allié et pourtant, elle finissait toujours par s’abandonner dans les bras des déesses au bout de la quinzième lettre. C’est avec détermination qu’elle dévore son repas en silence, préférant occuper ses pensées du moindre son mouvant. Le regard perdu, elle fixe un point en continuant de mâcher une fois la bouche vide – qu’il est facile de la perdre Lucy, quand les yeux se plissent et qu’elle ne lâche pas du regard un objet. Il lui est alors plus facile de laisser son esprit voler parmi les oiseaux, s’échapper du quotidien -. C’est la présence milicienne d’une fille de dix-sept ans qui perturbe le regard de l’adolescente : « bénis soient les trois » Une voix grave, portant toute la prestance du monde, une voix tonnant parmi le bruit qui l’entoure. C’est les yeux qui se soulèvent face à une bouche pleine pour observer la charmante créature, nymphe de ce réfectoire. Elle porte le regard de la démence et du chaos, l’air intimidant et la posture d’une guerrière ; elle ne peut-être que Kaethe. Les élèves sont par dizaines, et pourtant, elle connaît si bien les grandes recrues ; les meilleurs, ceux qui ont survécus à ces années. La lueur qui chamboule son regard, fait pétiller son estomac est soudainement vif ; l’admiration l’aspire dans le regard de la beauté divine. « Au.. Auprès desquels je cherche refuge. » Ca sonne anxieux et à la fois mécanique, Lucrezia passant de l’adolescente terrifié à l’enfant robotique qu’elle a toujours été, imitant ses pairs. Elle offre à la belle un petit salut de tête qui fait bouger sa tresse sauvage dont la plupart des petits cheveux volent dans les airs. « tu es seule? »  La question est si idiote qu’elle en vient à détourner le regard pour observer la table vide autour d’elle. Elle accompagne ses mots d’un léger hochement d’épaules en reprenant son observation « Il faut bien croire. » La belle Kaethe a beau être présente devant elle, la faim gronde dans le ventre de la petite nymphette et la bouchée se veut hargneuse, les joues rebondissent avec sauvagerie et douceur ; un mélange confus et très souvent perturbant tant on peut lire en son visage le plaisir de manger. « Je suis Lucrezia ! Tu me veux quelque chose ? » Le franc parlé pur de la gamine se mêle à l’admiration, tant elle tente d’être à l’aise. Pas facile d’impressionner la sublime Kaethe et son regard vibrant, pourtant elle ne cesse de la scruter avec admiration. Elle ressemble à Nenya dans ses gestes, trop robotiques et guerriers ; c’est pourtant sa beauté frappante qui la subjugue et fait rosir ses joues rondes et délicieuses.

malgré toutes tes précautions minutieuses, tu sembles quand même l'avoir effrayée. intimidée, au moins. enfouie dans les bras de l'adolescence, encore étrangère à toi-même, tu ne sais pas quoi penser de cette qualité que l'on t'attribue. non pas bruyante mais imposante, ta voix se démarque par son unique octave plus basse que la voix des autres jeunes filles. on te qualifie de terrifiante, terrible, et tant d'autres termes dont tu ne connais pas encore la vraie signification. qualité ou défaut, tu n'en es pas sûre. gamine en constant doute de toi-même, tu vacilles entre les deux options, penchant un jour pour un amour propre sans limite, et l'autre pour une haine de ta propre personne, de tes gestes, de ton apparence. seulement deux années vous séparent, et pourtant, la gamine bégaye. tu es déjà lassée par la rencontre, et même si tu apprécies cette impression de supériorité face à l'inconnue, tu ne peux t'empêcher de laisser ton regard vadrouiller aux alentours. des visages brouillés, durcis par l'entraînement aux armes, fermés. c'est ce dernier détail qui ramène ton attention à la demoiselle, parce qu'elle est différente. tout le contraire des autres soldats, elle semble encore préservée des difficultés de la vie à l'armée. le pain sans goût que kaethe a depuis bien longtemps délaissé, elle le mange goulûment, comme s'il était son dernier espoir de survie. la fille osmer s'empêche de rire, elle ne voudrait pas la ridiculiser non plus, mais la scène l'amuse. peut-être qu'elle y passera quelques minutes de plus, à la travailler, cette gamine. "je suis lucrezia! tu me veux quelque chose?" refroidie par sa manière de te parler (trop irrespectueuse à ton goût, ne sait-elle donc pas qui tu es?), tu reprends un air grave. "comment ça, j'ai l'air de te vouloir quelque chose?" offusquée par les mots crus, dénués de toute honte ou sensibilité, tu reprends ta place sur ton trône, reine de l'hautaineté. "je t'ai juste prise en pitié parce que personne ne voulait manger avec toi." la tête haute, tu lui jettes un regard méprisant, les sourcils légèrement froncés (on t'a répété et répété de ne jamais le faire, parce que cette moue ne fait qu'accentuer tes traits masculins, une honte pour une jeune fille de bonne famille. et à l'aube de ta vie adulte, tu en es encore complexée). et, plus désintéressée que jamais (une parfaite comédienne, voilà ce que tu es), tu fais tinter ton nom de ta voix. "je suis kaethe osmer." et il ne manque qu'un "alors respecte-moi" à la fin de sa phrase pour compléter l'illustration de ton sale caractère, mais tu l'évites de peu.

La créature est terrifiante. C’est l’image qu’elle se représente dans l’univers cosmique qui entoure ses pensées ; celui d’un visage féminin aux traits trop durs, à la bouche voluptueuse et à ce regard froid. Elle pourrait la manger, la dévorer, Lucrezia étendrait ses bras pour prendre en son âme tout ce que pourrait lui donner le loup qui rôde face à elle. Se donner corps et âme, toute entière, rien que pour percevoir l’infini des pensées de Kaethe. Qui est-elle derrière une simple œillade intimidante ? Fait-elle des cauchemars la nuit, du grand méchant loup ? Ou alors est-elle ce grand méchant loup ? Les questions sont des bouées de sauvetages face au regard menaçant qui promet l’hécatombe des mauvais jours à passer. Elle le sent, elle le sait, Kaethe n’irait pas voir une petite année comme elle par simple courtoisie ou gentillesse. « comment ça, j'ai l'air de te vouloir quelque chose? » Un ton sec et cruel, rappelant les déserts les plus arides dessinés par Anibal. Elle comprend désormais ce qu’il pouvait lui répéter, que parfois les paysages sont aussi semblables que les humains tant la portée des mots est cruel. Et pourtant, le ton Arctique de la demoiselle ne fait cesser les joues de bouger dans ce rictus gustatif ; elle prend plaisir la douce nymphette, elle tire son bonheur du moindre élément et tente de repousser les intempéries. La comète solaire ne se laisse pas abattre par ce coup de tonnerre, le coup de foudre ne déstabilise pas l’astre. « je t'ai juste prise en pitié parce que personne ne voulait manger avec toi » Les yeux perçants de l’enfant retrouve ceux de la tempête dans un mirage où les gens qui les entourent ont disparus, où elle redevient la petite Lucy à qui on crie de ne pas courir trop loin. Le cœur qui palpite, comme un manque de respect et à la fois pleine d’admiration, elle sent ses doigts serrés le petit bout de pain afin de le reposer dans l’assiette. « J’ai alors énormément de chance que ta présence vienne me soulager de la solitude. » Souris, Lucrezia, souris. Ne pense pas à ce ventre qui frappe fort, ne pense pas à ce cœur qui te ronge, laisse les papillons éclore de tes lèvres délicieuses. Le geste qui accompagne ses mots se veut de grâce, tel un félin qui salut un congénère. Et elle sourit, l’enfant divine, elle lui offre ce merveilleux sourire candide pour cacher ce qui fait mal ; le goût d’une fierté envolée et du manque de respect. « je suis kaethe osmer. » Osmer. Pas un rictus ne peut se lire sur son visage ; le nom devrait la dévaster mais ne résonne en son esprit que les mots de Papa. Les Osmer, une grande famille noble, côtoyant le roi ! Une famille à respecter, où il fait s’abaisser devant la grandeur, se laisser dominer par le simple goût de l’hémoglobine. Le cou qui se penche pour saluer la demoiselle – digne mouvement militaire, si bien maîtrisée, il lui est aisé de coordonner ses gestes pour donner cet air calme et assiégé -. « Enchanté Kaethe Osmer. » Elle n’a rien à répondre qu’un simple salut, qu’un simple abaissement. Peu importe son nom, Osmer ou la plus basse des familles, elle porte en elle le feu sacré dans le regard, la divine vertu meurtrière qu’on ne peut lire nulle part. Elle est originale, mystérieuse et captivante à sa manière. Elle pourrait la dessiner de ses mots – Anibal pourrait peindre le visage ravagé par la grandeur avec tant de perfection, mais il est trop difficile de reproduire une telle merveille -. Et elle est là, digne Gartzea, qui n’a que son sourire et son pain à lui offrir, une hospitalité plus modeste, la candeur dans le regard et les lèvres sucrées. Elle n’a qu’un cœur devant elle, et elle entend le sien battre la chamade. Elle entend toute la volupté de ses sentiments admiratifs et résonne en son esprit le digne nom de Kaethe Osmer, la dernière année venue lui parler.

"j'ai alors énormément de chance que ta présence vienne me soulager de la solitude." les belles paroles, encore et toujours. si c'est pour ce respect que tu te bats, tu ne l'aimes pas pour autant. il t'ennuie terriblement. conflit constant avec toi-même, tu extériorises en te confrontant aux autres. celle-ci ne tiendra pas tête, tu le sens déjà. (ou peut-être bien que si, parce qu'il y a une pointe de moquerie dans sa salutation. tu n'es pas une reine non plus, et son geste de la tête te déplaît désormais. tu n'es pas généralissime, tu n'es pas ton père, tu n'es pas ton frère, tu es rien. alors pourquoi te considère-t-elle avec tant d'estime? bien plus que tu n'en as pour toi-même?) partagée entre la satisfaction d'une gamine à tes pieds et l'envie de se bagarrer, tu ébauches désormais un léger sourire, de frustration peut-être. tu es difficile à cerner. tu te veux ainsi. c'est un des rares aspects de ton comportement que tu sais déjà contrôler. le reste est chaotique, brut, maladroit, à l'âge tendre de dix-sept ans. mais tu sais te donner en spectacle. tu viens t'asseoir en silence face à elle, sans plus la quitter du regard. et elle, elle te dévore de ses yeux vert d'eau. tu es presque déstabilisée par sa fascination visible pour toi. est-ce ton nom qui lui fait cet effet, ou peut-être la manière dont tu l'as approchée? "et toi, c'est quoi ton nom? complet, je veux dire." lucrezia, t'as compris. tu penses même savoir qui elle est, d'où elle vient. mais tu ne te rabaisserais pas à ça. il faut qu'elle le dise d'elle même, qu'elle t'est inférieure en statut. ton regard fier la scrute, son visage de gosse, ses yeux pétillants d'étoiles, son sourire candide, ses petites mains hésitantes. "tu te plais ici?" vu sa fascination pour toi, tu pourrais lui sortir n'importe quelle connerie et elle resterait ébahie face à toi. alors tu lui donnes ce qu'elle veut. de la discussion, un peu d'attention. ça doit faire longtemps qu'elle n'en a pas eu, à l'armée. pas de pitié pour les fillettes comme elle. "moi je déteste chaque jour." tu baisses le regard, souffle un peu, l'air lassé. moue d'enfant capricieuse (et pourtant, tu ne l'es pas. mais tu te plais dans ce rôle de gamine privilégiée, au dessus de tout). "c'est d'un ennui. mon père m'a appris à maîtriser les armes quand j'étais encore petite. c'est une perte de temps, pour être honnête. mais il le faut bien, pour intégrer les brigades spéciales. ma place est déjà assurée." le menton levé au ciel quand tu le déclares à son visage admiratif. tu es loin de te douter que tu arriveras loin des dix premiers, et qu'on te refusera même dans les rangs du bataillon d'exploration. mais tu es jeune encore, d'une dureté qui n'impacte pas ta naïveté. tu sais te méfier des autres, mais pas de toi-même.