D'Ash à Jin, l'échos de rires d'enfants,
le murmure onirique de serments formulés entre inconscience folle et bravoure innocente : des heures et des heures de combats acharnés, l'un contre l'autre ou unis contre des nuées de monstres fictifs tout droit arrachés à leur imagination bouillonnante, pieds nus dans la poussière.

Il les entend presque encore, Ashlan
— les réminiscences invoquées par sa mémoire.
Éclats de voix élevés jusqu'aux cieux, matériaux qui s'entrechoquent (épées de bois ou de bronze façonnées avec plus d'ardeur qu'il ne travaillait le métal à l'époque). Imitation maladroite, guerres d'adultes muées en jeux d'enfants, dignes des spectacles de marionnettes des places publiques.

Il les entend presque et le feu en lui ne s'est pas éteint ; seulement étouffé sous les cendres, seulement réduit en braises attendant leur heure pour mieux enfler, pour mieux s'étendre, et pour mieux dévorer la monotonie qui l'étrangle. Ils rugissent encore au creux de sa cage thoracique, ses rêves de grandeur, de splendeur, émoussés par les obstacles mais jamais annihilés.  

D'Ash à Jin, les promesses bafouées ;
il se voudrait de l'étoffe des guerriers, Ashlan, mais ses muscles ne se tendent que sous l'intensité des percussions contre l'enclume, et ses espoirs déchus ne s'apaisent qu'à grands coups de harcèlement éhonté. Alleeez, montre ! Rell n'en saura rien, qu'il assure sans se lasser, lorgnant avec une intarissable curiosité l'équipement du camarade qu'il n'a, tout compte fait, pas rejoint parmi les rangs des soldats — il sait ce que c'est que de réparer, consolider les pièces des armements, mais les essayer ? La limite s'est toujours dessinée là.
Et les refus enchaînés se heurtent inlassablement à un constat tragi-comique : Tant d'années d'amitiés refoulées au second plan par ta peur de décevoir Rell— bien, bien, je vois où vont tes préférences. Mais ses airs de chiot piteux (trahi, blessé) s'effondrent en un battement de paupières, lorsque tremblent ses commissures sous l'effet d'un sourire contenu qui ne tarde jamais à réduire à néant la crédibilité de son pseudo-mélodrame.

C'est presque une tradition à ce stade, passage répétitif et vain de leurs journées — c'est presque anecdotique, jusqu'à ce que Jin cède plus ou moins et que leur marche s'interrompe, l'apprenti forgeron le fixant bouche béante et yeux écarquillés avant d'exploser de joie, comme s'il lui avait offert de décrocher de ses propres mains une parcelle de voûte céleste. Instant précis où accélère la course du temps sur un air d'aventure, et où le rythme d'une journée rendue morne et lente par la chaleur terrassante se précipite sans crier gare, le temps de mettre en place l'idée d'entrainement de Jin.

Sans doute Ashlan devrait-il s'inquiéter un minimum de remettre ainsi son intégrité physique entre les mains de son vieil ami — mais rien ne peut ternir son entrain. Ni le contact rêche des cordes abimées marquant son épiderme, tendues entre deux troncs-piliers en guise de support de funambule tandis qu'il se perche entre terre et ciel ; ni le vide béant menaçant de l'engloutir s'il échappe aux liens bardés de noeuds constituant la toile d'araignée géante au choeur de laquelle il a mission d'évoluer. Langue coincée entre ses incisives et sueur au front, il s'improvise équilibriste avec une grâce d'éléphant ; paluches aussi fermes et adroites que ses guiboles s'avèrent gauches, déplacements rendus pénibles par la pesanteur qui l'attire irrésistiblement vers le sol. Rappels moi pourquoi tu t'infliges ça déjà? lui parvient la voix un brin moqueuse de Jin en contrebas, et Ashlan lâche des yeux sa prochaine prise pour tourner son attention vers lui, grossière erreur. C'est fou comme l'équilibre et les sens peuvent être liés : sitôt privé du repère qu'est sa vue, son contrôle précaire sur ses membres rendus gourds par la tension est réduite à néant—
et sa vie défile brièvement devant ses yeux avant qu'une corde ne stoppe la chute en entravant sa nuque, pression seulement atténuée par la main qu'il glisse de justesse entre le toron et sa gorge. C'est si rapide, si bref qu'il n'assimile la chute qu'à retardement, une fois bien empêtré dans les noeuds et perché sur le côté à quelques mètres du sol. Parce que… ça avait l'air marrant ? Il offre en détachant ses yeux des gravas qui, avec un peu moins de "chance", auraient salué sa gamelle ; les relève vers Jin en se fendant d'un immense sourire de gosse pris en faute, adrénaline pulsant dans ses veines. J'suppose que tu comptes pas m'aider à m'tirer d'là… Ash constate/demande avec un brin d'espoir, mais se résigne à trouver par lui-même un moyen de se dépêtrer, freiné par les éclats de rire qu'il peine à étouffer malgré sa volonté de préserver son souffle déjà court. Jin, lui par contre, ne se retient pas le moins du monde pour se fendre la poire. C'est ça, moque-toi, faux-frère ! Et si l'accusation se veut outrée, elle ne fait que renforcer leur hilarité lorsqu'il achève sa course tête en bas comme prédit, chevilles complètement entravées. J'parie deux pièces que j'arrive à me redresser avant que t'aies fait le tour de notre périmètre d'entrainement, il offre, joueur par tous les temps (et puis quitte à souffrir de son plein gré sous ce soleil de plomb, autant partager le plaisir non ?).

Efforts stoppés le temps de quelques secondes de contemplation ; et des pièces s'assemblent, des doutes jamais niés ni confirmés tracent sur sa rétine l'ébauche d'un possible, de rell et jin tels qu'il voudrait ne jamais les imaginer. Il lâche prise sur la corde, manque de se laisser étrangler dans sa précipitation pour presser une paume contre ses paupières closes. Ew, ça sonne louche Jin putain ! il clame — s'esclaffe à demi et morigène tout à la fois, parce que le temps a fait de Jin quelque chose d'assimilable à un petit frère et que lui envisager de potentiel(le)s amant(e)s, à tort ou à raison, est douloureux pour l'âme.

Les liens le raccrochent à l'instant présent, de force ou de gré — entre faire mine de préserver sa sanité d'esprit en repoussant le sous-entendus ou assurer l'arrivée d'oxygène que requièrent désespérément ses poumons, la priorité est évidente, et Ash s'emploie à y dévouer à nouveau toute son attention. Ce faciès—, il rétorque toutefois en désignant brièvement son joli minois d'un index, assure sans une once d'humilité : est aussi parfaitement taillé que s'il avait été forgé par les Trois Elles-mêmes, sale môme. Et no offense mais j'doute que tu puisses commenter le nez de quiconque, encore plus quand ma position me donne vue directe sur ton cerve— (interruption, concentration, mine navrée) fausse alerte, mission d'observation avortée ! Soit c'qui s'cache là-haut est de trop petite taille pour être décelable par l'œil humain, soit c'est la largeur de tes ratiches qui m'obstrue la vue. Et ça s'étire — et ça semble se dénouer seulement pour mieux s'emmêler.

Égo piqué par le challenge, Jin réagit au quart de tour au défi, et Ashlan fait mine de se prétendre mi-choqué, mi-enthousiasmé : Oserais-tu faire tomber le haut ? C'est indécent. Le tissu chute, en effet, en un mouvement dramatique, et le jeune Brotz gratifie le show de sifflement appréciateurs, claquant dans l'air brûlant baisers feints et encouragements. Allez, plus vite ma mignonne ! J'attendais d'être ébloui, moi, pas d'regarder un chevreau trembloter sur ses pattes.

Et tandis que Jin s'applique à retracer le périmètre de ses pas, Ashlan s'attelle à basculer le haut de son corps pour agripper de ses mains les nœuds traîtres. Exercice plus pénible à appliquer qu'à envisager — muscles contractés, il s'y reprend à plusieurs fois avant de parvenir à accumuler l'élan nécessaire. Ses phalanges s'agrippent à la corde, cherchent à déceler les mystères de la capricieuse, à la défaire ni trop ni trop peu : juste assez pour échapper à son étau sans pour autant s'assurer une chute libre tête la première.

Le temps qu'Akhan se retrouve au point de départ, il est au moins parvenu à chavirer dans le bon sens, allégeant assez l'étreinte assassine pour s'autoriser à mimer une position assise — une jambe pliée, l'autre tendue battant l'air en un mouvement décontracté que dément son souffle court. Oh, comme on se retrouve. J'ai failli attendre, il crâne ; appuie son coude sur deux nœuds pour accentuer l'effet, mais la prise se détend, et il passe à deux doigts de perdre l'équilibre. Ok, assez d'adrénaline pour cette fois, il grimace en rattrapant le bout de corde fuyant juste à temps pour éviter qu'il ne fasse basculer l'ensemble du grotesque montage au cœur duquel il se trouve.

Retrouver terre est tant un nouveau périple qu'un soulagement, au terme de cet aperçu de voltige, et ses membres sont comme gravés de motifs, creusés et rougis par la prise rêche des liens. Il se laisse choir dans l'herbe avec un soupire de satisfaction dans l'herbe tiède, roule sur un coude pour abolir la distance en Jin et lui et ébouriffer les mèches brunes de ce dernier. Fronce les sourcils—
Ça fait pas mal, ça ? Il questionne en lui mettant un doigt dans les côtes ; pas assez insistant pour blesser, mais suffisamment pour titiller la potentielle douleur si elle s'est réellement éveillée. Mais Jin l'aurait dit avant, s'il n'était pas encore tout à fait rétabli. Il l'aurait dit, non ? (À bien y réfléchir, sans doute que non).

Faiiible, il chantonne, imite la moquerie distillée un peu plus tôt par Jin et la lui ressort fourbement en éloignant et en titillant à nouveau la chair meurtri de son index malveillant.

((parce qu'il ne sait rien prendre au sérieux, Ash, à moins que l'évidence ne l'y oblige))

Ca fait mal si quelqu'un que je ne nommerai pas enfonce son gros doigt disgracieux dans ma magnifique personne. Et l'apprenti forgeron d'exprimer d'un bruit de gorge son outrage. Qui ose ! Malmener de façon grotesque ma si précieuse petite chos— le mot avorte, étouffé par l'attaque subite d'un bras assassin que talonne une menace. Tu n'oserais pas— le feu du ciel te foudroierait pour un tel affront, il assure d'une voix étouffée, cordes vocales malmenées par la prise implacable et lèvres pressées contre le torse d'Akhan. Et rien ne m'empêchera de cafter à Rell— Oh, cette… odeur… je… meurs… il ânonne dans la plus totale exagération, yeux révulsés, avant de mimer la mort et de s'affaler sur son vis-à-vis.
Totalement oublieux de la plaie qu'il agaçait de son toucher un instant plus tôt, et sur laquelle il s'effondre à présent.
Le rappel à l'ordre ne vient pas de Jin, mais du liquide suintant à travers le haut, et Ashlan se redresse d'un bond, coupable. Oh non, désolé ? J'avais complètement— merde, ça va aller ? Et c'est un battant, Jin, ou un inconscient ; tout dépend du point de vue. Ils en ont vu d'autres, mais le Brotz ne peut s'empêcher de s'en vouloir à la vue du tracé inégal humectant le vêtement. Parce que c'est de sa faute ; et que si désinvolte soit-il, esquinter son plus vieil ami et prolonger sa convalescence n'est certainement pas dans ses plans. Pas alors que Jin supporte déjà si mal immobilisme et enfermement. Attends ! Bouge pas, on n'a qu'à— on va aller voir Laïa et elle te retapera en un rien de temps, il projette avec espoir, Pas de panique ma donzelle, je te porterai jusqu'à elle. Oups, voilà Rell. C'est fou qu'il nous ait retrouvés, il a un radar ou ?, il simule, main sur la nuque en fixant un point au-delà de l'épaule de Jin et lèvres étirées en une moue plus grimace que sourire—
Et sitôt Akhan s'est-il détourné pour accueillir la pseudo arrivée, Ashlan lui noue un bras derrière le dos, l'autre sous les genoux, le pas galvanisé par la bonne volonté. Mon bon ami, un régime ne serait pas du luxe. Tu es putain de lourd, on t'nourrit bien à l'armée. Loin de lui l'envie de le flatter en supposant qu'il ne s'agit là que de muscle ; Jin s'auto-congratule bien assez tout seul.

Mais la cible se rebelle, s'agite, indocile. Ouh, bouge pas tant, ça risque de mal finir tout ça, il constate, et alors que le jeune soldat lui ordonne de le reposer, irritant de ses mouvements erratiques les éraflures laissées par les cordes, Ashlan…
Lâche prise.
Et entraîné par le poids à la suite duquel il succombe, s'affale lourdement sur celui qu'il escomptait soulager. C'est pas ma faute, t'as dit de te poser ! Et t'as comme un léger souci avec l'autorité, non ? J't'ai pas élevé comme ça. Oh, Ashlan qui parle d'autorité. Comble de mauvaise foi. Tu sais quoi, il offre en s'écartant pour s'écraser dans l'herbe, muscles endoloris et toute envie de bouger envolée, on n'a qu'à juste. Rester là. On est bien, là. Mais plaisanterie et fatigue mises à part, il s'inquiète vraiment à présent.
Vraiment vraiment.
Sauf si ça t'est insupportable. Un mot de toi et je cours chercher Laïa, et cette fois la culpabilité est alourdie par son (rare) sérieux, front barré d'anxiété et lippe soumise à la torture de ses incisives.
(non, il n'est en rien dramatique).