c’est des regards de crainte qu’on leur jette, de ci et de là. plus que les hommes de foi, les hommes d’arme inspirent l’admiration parmi le peuple. peut-être parce qu’ils se plaisent à abuser de leur pouvoir, ennuyés par l’absence des titans. (certains espèreraient même qu’ils reviennent, mais c’est un secret, des mots susurrés, l’âme de guerrier qui parle plus vite que la raison.) et de cette admiration, tu en es consciente. la tête haute et les épaules droites, ton regard ne s’attarde pas plus d’une seconde sur les paysans. ton uniforme a beau être honteux à tes yeux, il intimide. vous traversez les ruelles tandis que des nuées d’humains fourmillant parmi la crasse et la pauvreté se poussent pour vous laisser passer. tu te plais à inspirer la peur, il faut l’avouer. trop souvent, tu l’as ressentie toi-même (jamais tu ne pourrais te l’avouer), alors ça te plaît d’être de l’autre côté. de devenir celle qui la crée, cette nervosité au fin fond des entrailles. mais vous ne flânez pas, dans la ville aux mille et uns dangers. c’est à propos d’un voleur qu’on vous appelés. seulement quelques soldats de la garnison, rien de grave donc, vous arpentez les rues à la recherche de celui dont le visage vous a seulement été vaguement décrit. (homme. plutôt âgé. d’apparence peu soignée, sûrement un vagabond, un déserteur, un pourri. ça, c’est ce que tu te dis.) il aurait volé des peaux de bêtes, quelques fruits. facile à repérer sûrement, ses peaux lacérées jetées rapidement sur l’épaule. une mission d’un ennui mortel.

un des soldats se démarque du groupe, prenant les devants pour crier quelques ordres. tu veux rire doucement de cette envie spontanée de pouvoir qui le transit, (il ne fait que son métier, mais c'est inconcevable pour toi, agir sans motif ultérieur. il y a forcément une volonté de gravir les échelons, monter, obtenir la reconnaissance, chez ce gamin.) et plutôt que de suivre le conseil, "gardez les yeux bien ouverts!", ton regard se perd sur la silhouette du soldat, frêle dans son uniforme peu glorieux. il te fait déjà volte face et l'ébauche de son visage que tu as pu observer l'espace d'une seconde t'a déjà échappé. inconnu au bataillon, il en vient tous les jours, des nouveaux, à la garnison. déçus pour la plupart, ils se sont brûlés les ailes en essayant d'atteindre le soleil, ou bien ils se sont montrés trop trouillards pour aller au delà des murs. ils te font rire, ces gens-là. tu aurais pu en être, toi aussi, des brigades spéciales. tu ne voulais juste pas qu'on t'accuse d'abuser de ton pouvoir. (c'est ce que tu te dis, ce que tu te racontes pour ne pas céder à la honte qui te ronge.) et puis même le bataillon d'exploration n'a plus rien de glorieux, à tes yeux. il n'y a plus rien, là dehors. seulement des hommes corrompus par les vices, curieux et incapables de résister à la tentation d'en découvrir plus, ils passent leur journées à errer. c'est la garnison qui fait le vrai travail. tu t'en rends compte alors que vous arpentez les rues désolées, la misère qui se lit sur les visages des gamins et des vieillards. c'est vous, les vrais héros. alors que tu te perds dans tes pensées, un soldat pousse un cri, lâche les quelques mots que tu attendais tant, pour en finir enfin, de cette promenade au milieu des infortunés. "là! il est là! c'est lui!" et au moment où tu t'apprêtes à t'élancer, le gamin d'à peine fonce, fonce, fonce, seul à nouveau face à la surprise des autres. il manque de grâce dans ses mouvements, d'expertise, gestes gauches qui trahissent une enfance dans les rangs les plus bas. tu ne le laisseras pas te devancer. et avant même que tes pensées aboutissent, tes pieds se mettent à courir, plus vite que jamais, l'adrénaline d'une simple arrestation (les moments auxquels les soldats doivent se raccrocher, dans leur inutilité mortelle). les autres poussent des cris derrière, les ordres fusent, mais le gamin a déjà disparu et toi aussi, déjà bien loin d'eux. c'est dans un dédale de ruelles que tu le poursuis, ton confrère plutôt que la victime. tu n'aimes pas te faciliter la tâche. faire face aux difficultés, voilà ce qu'il te plait. alors tu es enragée d'avoir été devancée. et dans une tentative ultime d'être celle qui posera la main en premier sur le voleur, tu tournes dans une autre rue, inexplorée, pour les rejoindre au croisement.
scène de victoire qui se déroule devant tes yeux, le vieillard est au sol, sous l'emprise du soldat. il semble l'implorer, des larmes qui se perdent dans les crevasses de son visage, creusé par le temps. et l'espace d'un instant, tu décèles une once de pitié dans le regard du soldat. geste rapide vers le vieillard, tu lui assènes un coup dans le dos. assez fort pour que ses bras cèdent sous son poids, son visage désormais contre les pierres du sol. "c'est comme ça qu'il faut faire." et, attrapant le bras droit de l'homme effondré, tu craches un dernier "comme ça tu le sauras, pour la prochaine fois. maintenant aide-moi." au visage du soldat, visiblement touché.

et alors que c'est le vieil homme qui se plie à vos ordres, tu te sens d'autant plus fière de ton emprise sur le soldat, qui refuse de rechigner. au contraire, il se laisse faire par tes envies d'autorité. ce qui doit être de l'indifférence, tu le confonds pour de l'embarras. crainte de toi peut-être, parce qu'après tout, tu n'es pas n'importe qui. (ou plutôt, tu n'es pas de n'importe quelle famille, parce que toi, en tant que citoyen, tu n'es rien. ni mariée, ni haut-gradée, un simple soldat parmi des milliers.) "allez, debout." qu'il marmonne au vieillard, élevé par leurs poignes fermes. et si tu peux déceler une once de douceur dans son ton, il n'en est pas de même pour toi. limiter le contact avec l'accusé, voilà ce que ton père t'a toujours appris. un moins que rien. animal qui cède aux vices primitifs, son âme est déjà perdue (ça, c'est ce que la religion t'a murmuré dans le creux de l'oreille, loin du regard critique de ton père). tu as fais face à d'innombrables situations désagréables, et pourtant, le toucher de la peau rêche d'un infortuné te repoussera toujours. dégoûtée de devoir poser tes mains sur l'homme à la condition rude, tu comptes sur le soutien de l'autre soldat avant tout, parce que tes efforts seront limités. garçon manqué, élevée dans la dureté d'un foyer masculin avant tout, tu gardes cependant quelques manières et manies qui trahissent le berceau doré dans lequel tu es née.
"tu débarques à peine dans la garnison, c'est ça?" ton regard dédaigneux se pose désormais sur le soldat, et les mots franchissent tes lèvres pour étouffer les plaintes du voleur. "par pitié, par pitié. c'est les déesses qui m'ont poussé à le faire, je vous le jure, je vous le promets. j'ai été pris de folie, ça doit être ça, de la folie pure et simple! mais libérez-moi, par pitié...", implorations à la merci, plus aux soldats qu'aux déesses, il ne faut pas céder. "pourtant, tu n'avais pas l'air hésitant. ça m'intrigue." approche plus douce pour l'inviter au dialogue, ton collègue qui a déjà cessé de te dévisager, trop timide peut-être pour laisser son regard s'aventurer sur les traits qui constituent ton expression irritée.

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six ans. tu ris doucement, ton sérieux inébranlable qui laisse place à la malice d'une enfant. "j'ai du te sous-estimer alors." et il serait coutume de rajouter un "désolée" après la phrase, mais elle ne s'excuse pas. elle ne se rabaisserait pas à ça, avouer l'erreur de son jugement maladroit. l'homme continue à supplier, promettant même d'offrir des pièces d'or contre sa liberté. tu décides de lui rétorquer, "elles aussi, tu les as volées?" avant de raffermir ta poigne, l'étau de ta main qui se resserre sur la peau de mouton qu'il porte sur ses épaules. elle aussi, subtilisée, sûrement. mais qu'allez-vous faire, laisser le pauvre homme croupir en prison, sans un vêtement sur la peau? le regard pesant du soldat en dit long sur son opinion de ton attitude, mais il ne dit rien de plus. continuant à déblatérer des simplicités, conversation vide entre deux collègues. pourtant, tu es bien décidée à creuser. ne serait-ce que pour satisfaire ta curiosité sur l'homme à l'ancienneté bien plus honorable que la tienne. "alors, d'où viens-tu, valeureux soldat?" le ton est moqueur, mais l'intention n'est pas la même. ce genre de tournure hautaine est habituelle à ton langage.

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